Annexe 1 Relation de Johnson
La relation de JOHNSON - DE FOE, dans la transcription de GRANDIDIER
( in Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar, Vol. VI, pp.48 à 61 )
LES PIRATES ENGLAND TAYLOR ET LABUZE A MADAGASCAR (1720-1722)
1° Relation de Ch. Johnson -
Edouard England était un homme d'un grand courage et d'une bonne nature, nullement âpre au gain, ennemi de toute violence et de tout acte bas et cruel ; néanmoins, engagé clans la triste carrière de la piraterie, il n'était pas le maître de ses compagnons qui étaient de vraies brutes.
Après avoir écumé pendant quelque temps l'Océan Atlantique, il partit pour l'Océan Indien à bord d'une de ses prises, le Peterborough, à laquelle il donna le nom de la Victory, et, ayant doublé le Cap de Bonne-Espérance, il arriva à Madagascar au commencement de 1720. Ils n'y resta pas longtemps; après y avoir fait de l'eau. et des provisions, il fit voile pour la côte de Malabar, où il captura plusieurs bateaux indiens, puis il y revint.
Plusieurs des pirates descendirent à terre avec des tentes, de la poudre et du plomb, voulant se livrer à la chasse des sangliers et des autres gibiers qui existent dans cette île, et ils se mirent à la recherche des quelques gens de l'équipage d'Avery qu'ils savaient y être établis ; dans ce but, quelques-uns firent de divers côtés des excursions qui durèrent plusieurs jours, mais ils ne recueillirent aucunes nouvelles et regagnèrent leur camp ayant perdu leur temps; en effet, ces gens étaient de l'autre côté de l'île.
Ils ne restèrent à Madagascar que le temps de nettoyer leur navire et ils firent voile pour Anjouan, où ils se rencontrèrent avec deux navires anglais, la Cassandra et le Greenwich, et un navire de la Compagnie hollandaise des Indes (Compagnie d'Ostende), qui sortaient de la rade. Ils s'emparèrent de l'un d'eux après un combat acharné dont les péripéties sont racontées dans la lettre suivante écrite de Bombay par le capitaine Mackra [Mackraw], de la Cassandra, en date du 16 novembre 1720 :
« Nous sommes arrivés le 25 juillet 1720 en compagnie du Greenwich à Anjouan, où nous nous sommes ravitaillés. Pendant que nous étions là, quatorze pirates sont arrivés dans un canot de Mayotte où s'était perdu leur navire, The Indian Queen, de 225 tonneaux, armé de 28 canons et monté par 90 hommes sous les ordres d'Olivier de la Bouche [Olivier Le Vasseur dit la Buse], qui allait de la cote de Guinée aux Indes; ils me dirent qu'ils avaient laissé leur capitaine et 40 hommes occupés à construire un sloop pour continuer leur piraterie. Le capitaine Kirby et moi, jugeant qu'il y aurait intérêt à détruire ce repaire de brigands, nous nous préparions dans ce but à mettre à la voile le 17 août vers huit heures du matin, lorsque nous avons vu venir en rade deux navires pirates, l'un avec 34 canons, l'autre avec 30. Je m'entendis de suite avec le capitaine Kirby, qui se préparait déjà au combat, pour nous soutenir l'un l'autre, ce qu'il promit; le navire d'Ostende, qui avait 22 canons, était d'accord avec nous à ce sujet, mais, pendant que je dérapais et mettais à la voile, le cap. Kirby prit de l'avance et le Hollandais fit de même. J'eus beau les appeler à mon secours en tirant le canon vers midi et demi, ils nous abandonnèrent lâchement, nous laissant seuls aux prises avec ces ennemis barbares et cruels. Leurs drapeaux noirs, couverts de sang, flottaient à nos côtés et il n'y avait guère d'espoir que nous échappions à un massacre général! Cependant Dieu en décida autrement, car, malgré leur supériorité en hommes et en canons, nous luttâmes contre eux pendant trois heures et nous eûmes la chance d'ouvrir à coups de canon à la flottaison du plus grand des voies d'eau qu'ils durent aveugler, ce qui les tint momentanément en dehors de la lutte. L'autre fit tous ses efforts pour nous aborder, ramant avec ardeur et nous suivant pendant près d'une heure à une demi-longueur de navire, mais nous eûmes le bonheur de casser tous leurs avirons les uns après les autres, si bien qu'ils ne purent monter à notre bord et que nous sauvâmes nos vies.
«Vers quatre heures, la plupart des officiers et des matelots qui se trouvaient sur notre gaillard d'arrière étant tués ou blessés, le grand navire pirate n'étant plus qu'à une encablure de nous et tout espoir d'être secouru par le cap. Kirby étant perdu, je me décidai à me jeter à la côte; quoique nous calions quatre pieds de plus que le pirate, Dieu a permis que nous nous mettions rapidement sur un banc de sable, ce qui les empêcha de nous aborder. Là, le combat devint encore plus violent. Tous mes officiers et tous mes hommes se sont conduits avec un courage admirable, et nous avons causé beaucoup de dommages à nos ennemis ; si le Greenwich était venu à notre aide, nous nous fussions emparés des deux corsaires; malheureusement il n'en fit rien et gagna la haute mer, nous laissant aux mains de ces bandits. Ayant perdu beaucoup de monde et voyant qu'il n'y avait plus d'espoir, nous avons tiré une dernière bordée de coups de canon et avons profité de la fumée qui a enveloppé notre navire pour le quitter, les uns à la nage, les autres dans le grand canot, et gagner la terre où nous sommes arrivés vers sept heures. Quand les pirates sont montés à l'abordage, ils ont achevé à coups de sabre trois ou quatre de nos matelots qui, à cause de leurs blessures, étaient restés sur le navire. Quant à moi, je me suis hâté avec quelques-uns de mes hommes de me rendre à la ville du roi, qui est située à 25 milles et où je suis arrivé le lendemain, presque mort de fatigue et ayant perdu beaucoup de sang de la blessure que m'avait faite une balle à la tête.
« J'y appris que les pirates offraient 10 000 piastres [50 000 francs] à celui qui me livrerait à eux; comme beaucoup d'individus avaient accepté cette offre, quoiqu'ils sussent que le roi et les grands du pays me protégeaient, je fis courir le bruit que j'étais mort de mes blessures, ce qui calma leur fureur. Une dizaine de jours après, étant assez bien remis, je réfléchis à la triste situation dans laquelle je me trouvais, étant dans une île où je n'avais nul espoir de trouver le moyen de regagner mon pays et n'ayant pour ainsi dire pas de vêtements.
« Espérant que mes ennemis n'avaient plus les mêmes mauvais sentiments à mon égard, je résolus d'aller à bord du navire pirate et demandai dans ce but un sauf-conduit. Plusieurs des chefs me connaissaient et quelques-uns même des gens du bord avaient navigué avec moi, ce qui me sembla avantageux, parce que, malgré, le sauf-conduit, il v en a qui m'eussent coupé en morceaux, si je n'eusse eu pour me protéger leur capitaine Édouard England et quelques autres de leurs compagnons. Comme ils parlaient de mettre le feu à l'un de leurs navires, le Fancy, de 300 tonneaux, que nous avions grandement endommagé et qui ne pouvait plus leur être d'aucune utilité, et de le remplacer par la Cassandra, je fus assez habile pour obtenir qu'ils me fissent cadeau de ce Fancy qui était de construction hollandaise et avait à bord 129 balles d'étoffe de la Compagnie; ils ne voulurent pas toutefois me rendre un seul de mes vêtements.
« Ils mirent à la voile le 3 septembre, et moi, ayant établi une mâture de fortune, j'en fis autant le 8, emmenant quarante-trois hommes de mon équipage, au nombre desquels il y avait deux passagers et douze soldats, et n'ayant en tout que cinq barriques d'eau. Après une longue traversée de quarante-huit jours, je suis arrivé ici [à Bombay], à peu près nu et mourant de faim et de soif, notre ration journalière d'eau n'ayant guère dépassé un demi-litre, après avoir presque désespéré de jamais revoir la terre cause des calmes qui ont allongé cette traversée d'une façon inquiétante.
Nous avons eu treize hommes tués et vingt quatre blessés; quant à nous, nous a-t-on dit, nous n'avons pas détruit moins d'une centaine de pirates. Lorsqu'ils nous ont quittés, il y avait à bord de leurs deux navires environ trois cents Européens et quatre-vingts nègres. Je suis convaincu que, si notre compagnon le Greenwich avait fait son devoir, nous nous fussions rendus maîtres de ces deux navires et eussions gagné pour nos armateur., et pour nous 200 000 livres sterling [5 millions de francs]. J'ai déposé toutes les balles d'étoffe qui m'ont été données dans les magasins de la Compagnie. Le gouverneur, M. Boon, et le Conseil m'ont voté une récompense et ils ont ordonné mon rapatriement, mais, comme le capitaine Harvey, qui est venu ici avec la flotte, avait eu avant moi la promesse d'être renvoyé en Angleterre, c'est lui qui part et, moi, avec l'autorisation de M. Boon, je vais faire un voyage dans l'intérieur de l'Inde pour tâcher de réparer mes pertes; je rentrerai avec lui en Europe l'année prochaine. » Signé : Mackra.
Le capitaine Mackra a joué gros jeu en allant à bord du navire pirate; il ne l'a fait certainement qu'en désespoir de cause, et il est probable qu'il ne savait pas qu'il pouvait avoir pleine confiance dans les habitants d'Anjouan, qui ont pour la nation anglaise un réel attachement; car, il y a environ vingt ans [vers 1700], le capitaine Cornwall, qui commandait une escadre, leur vint en aide contre les habitants de Mohély, et, depuis, ils ont rendu aux Anglais tous les services qu'ils ont pu. Il y a dans le pays un proverbe qui dit :« Un Anglais et un Anjouanais ne font qu'une seule et même personne ».
England était tout disposé à favoriser le capitaine Mackra; il le laissa même trop voir et perdit de ce fait quelque peu de son autorité sur ses compagnons; craignant même à un moment de ne pouvoir le protéger efficacement, il lui conseilla de se concilier les bonnes grâces du capitaine Taylor, un gaillard d'un naturel féroce, qui était devenu le favori de la bande des pirates uniquement parce qu'il était plus brute que les autres. Mackra fit ce qu'il put pour adoucir cette bête fauve et le régala de punch chaud. Néanmoins, on discutait chaudement sur ce qu'il convenait de faire de lui, lorsque survint un incident qui tourna en sa faveur. Un vieux bandit, orné d'une paire de moustaches effrayante et avant une jambe en bois, la ceinture hérissée de pistolets et de toutes sortes d'armes, vint sur le gaillard d'arrière en jurant et demandant où était le capitaine Mackra. Ce pauvre capitaine, plus mort que vif, s'attendait à être exécuté séance tenante par cet horrible individu ; il fut bien étonné quand il le vit s'approcher de lui, lui saisir la main et s'écrier qu'il pourfendrait le premier qui voudrait lui faire du mal, car ce capitaine sous lequel il avait jadis servi était un brave homme.
Cette scène changea l'opinion des pirates et Taylor lui-même, adouci par le punch, consentit à ce que Makra prît possession de l'ancien navire pirate avec les balles d'étoffe qu'il contenait. England lui conseilla de se hâter de s'en aller, avant que la brute de Taylor ne se ravisât et ne se repentît peut-être de sa générosité.
Toutefois l'intérêt qu'England manifesta dans toute cette affaire à Mackra le perdit dans l'esprit de ses compagnons qui y voyaient un danger pour eux et un manquement a leur politique et qui le destituèrent et le mirent à terre [en 1720] avec trois autres pirates à l'île Maurice, île qui n'eût point été à mépriser, si on les y avait débarqués avec leurs richesses, car elle abonde en gibier, cerfs, sangliers, etc., et en poisson. Les français, qui avaient déjà une forteresse dans l'île voisine de Mascarine [île Bourbon], s'y sont établis en 1722.
[Note: Les Hollandais ont définitivement abandonné Maurice en 1710. La France en a pris possession en 1712, mais ce n'est qu'en 1734, sous le gouvernement de Mahé de la Bourdonnais, que cette colonie commença prendre du développement.]
Les navires français, en allant aux Indes ou en en revenant, y touchent pour y faire de l'eau, du bois et des vivres, comme font les Anglais à Sainte-Hélène et les Hollandais au Cap de Bonne-Espérance. England et ses compagnons y construisirent une petite embarcation à l'aide d'épaves de sapin et de douves et s'en allèrent à Madagascar, où ils vivent de la charité que leur font quelques pirates plus fortunés qu'eux.
Les autres pirates, sous la conduite de Taylor, firent voile pour la côte de l'Inde où ils se livrèrent à leurs courses habituelles; ils célébrèrent pendant trois jours la fête de Noël 1720 d'une façon si folle et si inconsidérée qu'ils épuisèrent sottement leurs provisions et que, lorsqu'ils se décidèrent à retourner à Maurice, ils n'avaient plus par jour et par homme qu'une bouteille d'eau et, par dix hommes, deux livres de bœuf et une poignée de riz. Ils y arrivèrent vers le milieu de février 1721 et, après y avoir doublé et réparé la Victory, ils en partirent le 5 avril, laissant sur l'un des murs, dans le cas où l'on viendrait leur rendre visite, cette terrible inscription : Left this place the 5 of April to go to Madagascar for Limes.
Ils n'allèrent pas cependant de suite à Madagascar; ils touchèrent d'abord, le 8 [ plus 11 jours : le 19 avril, voir la note de Anne Molet Sauvaget au chapitre 1], à l'île Mascareigne [île Bourbon], où ils eurent la chance de trouver mouillé sur la rade un grand vaisseau portugais, qui avait perdu tous ses mâts et dont la plupart des canons avaient été jetés par-dessus bord pendant un cyclone qui l'avait surpris par 13° de latitude. Ce vaisseau, tout désemparé, était une proie facile pour les pirates qui s'en saisirent sans trouver une grande résistance et qui prirent en même temps le Comte d'Ericeira, vice-roi de Goa, qui se trouvait à son bord avec d'autres passagers de marque, et une masse de marchandises précieuses; il y avait, rien qu'en diamants, pour une valeur de trois ou quatre millions de piastres [de 15 à 20 millions de francs]. Le vice-roi était venu ce jour-là à bord, croyant que les navires signalés étaient anglais, et il dut à cette circonstance malheureuse d'être fait prisonnier par les pirates qui exigèrent de lui une rançon; mais, comme la majeure partie des richesses trouvées dans le vaisseau était sa propriété et qu'il faisait de ce chef une énorme perte, après une assez longue discussion, ils se contentèrent d'une somme de 2 000 piastres [10 000 francs] et le mirent à terre ainsi que les autres prisonniers, avec la promesse de leur laisser un navire qui pût les rapatrier, vu que l'île Bourbon ne pouvait pas nourrir tant de monde. Les pirates, auxquels les Portugais avaient appris qu'il y avait sous le vent de l'île un navire d'Ostende (l'ancien Greyhound de Londres) dont ils s'emparèrent, eussent pu facilement leur donner cette satisfaction, mais ils n'en eurent cure et envoyèrent le dit bateau hollandais à Madagascar avec quelques-uns des leurs pour y porter la nouvelle de leur succès et faire préparer des mâts pour leur prise; peu après ils le suivirent, sans s'occuper de ceux qu'ils laissaient à terre désespérés ; Taylor prit le commandement du bateau portugais et emmena avec lui deux cents nègres de Mozambique.
[Note: Ces Portugais furent rapatriés à Mozambique en 1721 par un navire de la Compagnie française des Indes, la Duchesse de Noailles.
Bernardin de Saint-Pierre a donné, dans son Voyage à l'Ile de France (lettre XIV), une version romanesque de cette piraterie, pleine de faussetés et d'anachronismes. Clément Downing, qui raconte aussi cet événement, dit que le navire portugais hivernait en rade de Bourbon parce que la saison n'était pas bonne pour doubler le Cap, et que, son équipage voyant arriver un navire de construction anglaise, avec les couleurs anglaises, se préparait à lui rendre son salut. Au lieu du salut qu'il attendait, il reçut une bordée et fut assailli par les pirates qui montèrent à l'abordage le sabre à main et emmenèrent le navire hors de la rade. Le vice-roi et les autres gentilshommes qui étaient à terre ne purent les en empêcher. ]
Madagascar est une île plus grande que la Grande-Bretagne; elle est coupée par le tropique du Capricorne et est à l'est la côte orientale d'Afrique. Elle abonde en productions de toutes sortes, bœufs, chèvres, moutons, volailles, poisson, citrons, oranges, tamarins, dattes, cocos, bananes, cire, miel, riz ; on y trouve du coton, de l'indigo et toutes les plantes du reste que les indigènes veulent bien prendre la peine de cultiver. il y a aussi de l'ébène, bois dur comme le bois du Brésil, avec lequel ils font les manches de leurs sagaies, des gommes de diverses sortes, telles que le benjoin, le sang-dragon, l'aloès, etc. Ce qui est fort nuisible, ce sont les nuées de sauterelles qui s'abattent sur les champs et les crocodiles qui peuplent les rivières.
Quand les navires prennent le canal entre l'Afrique et Madagascar pour s'en aller aux Indes et qu'ils ne comptent pas s'arrêter à Anjouan, ils font de l'eau dans la baie de Saint-Augustin. Il y a lieu de remarquer que les courants Nord-Sud sont. forts dans la partie la plus resserrée de ce canal et ont une violence moindre, variable suivant les différents points du compas, dans la partie qui va s'élargissant vers l'équateur.
Depuis la découverte de l'île par les Portugais en 1506, les Européens et surtout les pirates y ont fondé une race de mulâtres qui y sont aujourd'hui assez nombreux, quoique naturellement beaucoup moins que les indigènes qui sont des nègres à cheveux courts et crépus; ceux-ci étaient, jadis, dit-on, méchants et vindicatifs, ils sont maintenant doux et sociables, peut-être parce que les pirates, qui tenaient à vivre en bon accord avec eux, les ont toujours bien traités, leur distribuant à profusion des vêtements et des liqueurs, ce qui faisait qu'ils avaient tous de 200 à 300 individus prêts à se joindre à eux et à les suivre au premier appel. D'autre part, il était de l'intérêt des Malgaches, qui sont divisés en une foule de petits états et toujours en guerre les uns avec les autres, d'être en bons termes avec les pirates qui, étant nombreux et vivant dans de petits châteaux forts, donnaient immanquablement la victoire au parti auquel ils accordaient leur appui.
[Note: On sait aujourd'hui que Madagascar a été découvert en 1500 et non en 1506. Voir le Bulletin du Comité de Madagascar, 1898, pp. 529-531 (Alfred Grandidier : Sur la date de la découverte de Madagascar.)]
Quand Taylor arriva à Madagascar avec le vaisseau portugais, il y apprit que les matelots du navire d'Ostende avaient joué un tour de leur façon à ses hommes; ils avaient en effet profité d'un soir où ceux-ci étaient ivres pour se saisir d'eux et conduire le navire à Mozambique, d'où ils allèrent à Goa.
A Madagascar, les pirates procédèrent au nettoyage de leur navire la Cassandra et partagèrent le butin; chaque homme reçut un lot de 42 petits diamants, ou moins s'ils étaient plus gros. Un imbécile ou un mauvais plaisant, qui n'en avait pour sa part qu'un seul, fort gros, qui était jugé d'une valeur égale à 42 petits, fut fort mécontent de son lot et, tout grognant, s'en alla le briser dans un mortier et jura, après en avoir compté les fragments, qu'il avait la meilleure part puisque les morceaux étaient au nombre de 43.
Ceux qui ne voulaient plus courir le risque de se faire prendre à présent qu'ils possédaient des diamants et d'autres richesses, abandonnèrent la piraterie et s'établirent à Madagascar, avec l'engagement que les survivants hériteraient des autres. Il ne resta plus alors assez d'hommes pour armer les deux navires; aussi mirent-ils le feu à la Victory [l'ancien navire d'England], qui faisait eau de toutes parts, et ils s'embarquèrent à bord de la Cassandra sous le commandement de Taylor qui projetait, soit d'aller vendre ses diamants à ses amis les Hollandais, soit d'aller faire une croisière dans les mers de Chine ou dans la mer Rouge, où il n'avait pas à craindre de rencontrer de navires de guerre.
En juin 1721, le commodore de l'escadre anglaise, Matthews, trouva au Cap de Bonne-Espérance une lettre du gouverneur de Madras le prévenant que, au moment même où il l'écrivait, les pirates étaient en force dans l'Océan Indien qu'ils écumaient avec onze navires et quinze cents hommes, mais qu'ils se disposaient à se disperser, les uns projetant d'aller au Brésil ou en Guinée, les autres allant s'établir et se fortifier à Madagascar, à Maurice, à Anjouan ou à Mohély, notamment Conden [Coudent] et ses compagnons qui, après avoir pris avec le Dragon un grand vaisseau arabe de Djeddah portant la somme de treize lacks de roupies [soit environ 3 300 000 francs], étaient allés à Madagascar où, après avoir partagé leur énorme butin, ils avaient mis le feu à leur prise. Ayant ces renseignements, le commodore Mattews fit de suite voile pour ces îles dans l'espérance de surprendre les pirates. A l'île Sainte-Marie [en avril 1722], il demanda à England de le piloter et de le renseigner sur la Cassandra et sur ses anciens compagnons, lui faisant les plus belles promesses, mais celui-ci était prudent et ne jugea pas bon de se rendre ainsi à discrétion, de sorte que les navires de guerre, après avoir pris à leur bord les canons du vaisseau de Djeddah, se dispersèrent pour croiser dans l'Océan Indien; ils ne réussirent pas dans cette croisière et retournèrent en Angleterre sans avoir rien fait.
Les pirates de la Cassandra, sous les ordres de Tavlor, radoubèrent le vaisseau portugais qu'ils avaient pris sur la rade de Mascarenas [île Bourbon] et, malgré les richesses qu'ils avaient déjà accumulées, ils se préparaient à entreprendre une autre expédition dans les mers de l'Inde, lorsqu'ils eurent connaissance de la venue des quatre navires de guerre envoyés à leur poursuite; ils modifièrent leur projet et, faisant voile pour la côte d'Afrique, ils atterrirent à la baie de Delagoa, où ils pensaient être hors de leur atteinte, mais, quand ils en approchèrent, ils furent tout surpris d'être reçus à coups de canon. Ils ignoraient que des agents de la Compagnie hollandaise des Indes y avaient construit quelques mois auparavant un fortin qu'ils avaient armé de six canons et où ils avaient laissé une garnison de 150 hommes, réduite au tiers par les maladies et les accidents. Les pirates passèrent la nuit à une certaine distance de la côte et, le lendemain, ils descendirent à terre et s'emparèrent de ce fortin; ils prirent à bord, sur leur demande, seize des soldats de cette garnison qui, depuis leur installation, n'avaient reçu aucun secours du Cap, mais, comme c'étaient des Hollandais, ils ne voulurent pas en embarquer davantage.
Après avoir passé quatre mois à Delagoa, où ils carénèrent leurs deux navires, ils en partirent à la fin de décembre 1722, lorsqu'ils eurent épuisé leurs provisions, laissant aux malheureux Hollandais une grande quantité de marchandises dont ceux-ci firent leur profit. Les uns, qui voulaient continuer la vie de piraterie, s'embarquèrent sur le vaisseau portugais et allèrent à Madagascar où ils vécurent et vivent encore aujourd'hui en 1724 avec les autres pirates établis dans cette île; les autres allèrent avec la Cassandra dans l'Amérique espagnole, où ils firent amende honorable et furent bien accueillis par le gouverneur de Porto-Bello (en Colombie) ; ils se partagèrent leur butin et y menèrent une vie calme et agréable.
(Ch. Johnson, The History of Pyrates, t. I , 1724 , p. 117-124 , 133-139).
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