Textes anciens sur La Buse

Textes anciens sur La Buse

Annexe 2 La relation de Robert

La relation de ROBERT, dans la transcription de GRANDIDIER

( in Collection des ouvrages anciens concernant Madagascar,

Vol. VI, pp.61 à 72 )

 

 

LES PIRATES ENGLAND TAYLOR ET LABUZE A MADAGASCAR (1720-1722)

 

2° Relation de Robert , 1730 -

 

Personne ne doute qu'il y a en plusieurs endroits de Madagascar une quantité de forbans qui s'y sont retirés et établis, particulièrement à la côte de I'Est. dans la province de Mangabé [Antongil], les uns depuis un temps considérable, les autres depuis dix à douze ans. Ils n'y vivent pas tous dans le même canton, étant à quelque distance les uns des autres; le terrain qu'ils y occupent entre tous peut contenir vingt lieues de côte. Il est vrai que la plupart y sont considérés comme de petits souverains, ayant chacun sous sa domination deux ou trois villages; cette autorité ne leur est venue que parce qu'ils ont pris pour femmes les principales négresses [Malgaches], celles qui étaient les plus en dignité du pays et qui étaient déjà presque toutes riches par la fréquentation de tout temps des forbans.

Leurs maisons sont situées au milieu d'une grande cour; elles sont élevées sur plusieurs poteaux de bois et on ne peut y entrer qu'en y montant par une échelle; la cour est entourée d'une forte palissade faite de gros pieux, dans laquelle sont d'ordinaire ménagées des manières de meurtrières où quelques uns ont placé de petites pièces de canon. Les richesses que ces forbans y ont apportées, jointes à celles de leurs femmes, ont rendu ces endroits et leurs environs abondants en or, en argent, en diamants et autres effets, ce qui a encore augmenté considérablement.

Par l'occasion qui se verra ci-après, l'auteur [Robert] qui en connaît une partie assure qu'ils sont en état de fournir plusieurs cargaisons de nègres [esclaves malgaches], mais que toute leur puissance ne les empêche pas d'y mener une vie très disgracieuse. Leur conscience leur reproche sans cesse leur conduite et leurs désordres passés; d'ailleurs, ils souffrent du manque de quantités de choses nécessaires à la vie, ils n'ont ni vin, ni eau de vie, ni souliers, ni chapeaux, et ils ont besoin de beaucoup d'autres choses. Ils promettent de payer largement ce qu'on leur apporterait, et c'est certain, car ils n'ont pas plus de conscience à dépenser leur argent qu'ils n'en ont à le gagner.

L'île Sainte-Marie, qui est située par la latitude méridionale de 16° et quelques minutes dans l'Est de Madagascar, à la distance d'une lieue environ, a sur sa côte ouest un petit port, capable de contenir bien à l'abri quatre ou cinq grands vaisseaux, qui a été de tout temps la retraite la plus assurée et la plus fréquentée des forbans. Ceux qui enlevèrent en 1721 dans les rades de l'île Bourbon un gros vaisseau portugais qui y avait relâché après avoir été démâté et dans lequel étaient M. le Comte de Riceira [d'Ericeira], qui venait de la vice-royauté de Goa, et l'archevêque de cette ville qui retournait à Lisbonne, y enlevèrent encore dans le même jour un navire ostendais de 30 pièces de canon revenant des Indes bien chargé. Ces misérables forbans ont mené leur capture à ce port de l'île de Sainte-Marie sont restés environ dix mois à raccommoder le gros vaisseau portugais; les travaux qu'ils furent obligés de faire pendant séjour en ce lieu et les vivres qu'ils durent acheter leur causèrent une grosse dépense, ayant payé tout ce dont ils avaient besoin en argent et en diamants vingt fois plus cher que la valeur. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils y firent tous chacun case à terre pour se loger en particulier et, sur toutes cases, ils arborèrent une banderolle de soie de couleur et en outre leur marque particulière pour les connaître. Ils prirent tous chacun une négresse [malgache] pour leur servir de femme et y menèrent pendant le long séjour qu'ils y firent une vie de bandits et de scélérats; plusieurs de ces espèces de femmes en reçurent des présents considérables; d'autres héritèrent de quelques-uns qui leur firent donation de bonne volonté en mourant; d'autres en plus grand nombre, ayant été maltraitées et menacées d'être renvoyées pour en prendre d'autres en leur place, se sont servies de poison par jalousie ou par vengeance, les ont fait crever et ont emporté tout ce qui appartenait à ces malheureux, se sauvant avec des pirogues sur l'île de Madagascar, si bien que la mauvaise conduite de ces forbans en ce lieu a été le seul motif de la perte de plus de 80 de leurs meilleurs hommes qu'ils y ont faite. Tout cela, joint à d'autres forbans qui avaient déjà passé en ce lieu pour s'y mettre à l'abri dans la saison des ouragans et pour y faire des vivres et provisions diverses, a rendu cet endroit et ses environs très riches; aussi, y voit-on les négresses [malgaches] couvertes des plus belles étoffes des Indes avec broderies d'or et d'argent, et plusieurs y portent des chaînes, boucles, bagues et manilles [bracelets] d'or, même des diamants d'un prix considérable, ce qui fait qu'on y ferait un très bon commerce, car les indigènes troqueraient tout ce qu'ils ont pour peu de chose, ne pouvant se passer d'armes, ni de poudre, ni de diverses autres marchandises dont ils ont besoin et que les forbans ne peuvent leur fournir.

Ces mêmes forbans, étant sortis de l'île de Sainte-Marie avec le gros vaisseau portugais qu'ils avaient mis de trois ponts à deux ponts et demi et réduit à 60 canons, commandé par le capitaine anglais Thelert [Taylor], habile navigateur, avant été ci-devant lieutenant des vaisseaux du roi d'Angleterre, et avec un second vaisseau de 40 canons commandé par le capitaine Labuze, natif de France, dans le dessein de continuer leur brigandage, coururent les côtes de Madagascar, passant par la bande [la côte] du Sud pour aller à la côte Ouest, où ils prirent l'auteur de cette description [Robert] qui attendait, son bâtiment à l'ancre, le retour d'un roi du pays qui était allé en guerre pour lui faire des esclaves. Cet accident arriva par la mauvaise foi et la trahison d'un malheureux qui commandait une barque que l'auteur [Robert] envoyait à l'île Bourbon y porter quelques nègres [Malgaches], lequel ayant rencontré les vaisseaux forbans qu'il pouvait éviter se livra à eux, prit parti dans leur indigne société, leur déclara où le vaisseau de l'auteur [Robert], La Duchesse de Noailles (1) était mouillé, et les y conduisit. Ils l'enlevèrent à la veille d'avoir une bonne cargaison d'esclaves.

 

1. La Duchesse de Noailles était un navire de la Compagnie française des Indes. " Nous expédions cette année [1730] le vaisseau La Méduse, commandé par le sieur d'Hermitte, entièrement chargé de 1770 balles de café pesant 316600 livres, du cru de cette île, et il nous en reste encore en magasin une partie considérable qui n'a pu être embarquée. Le sieur d'Hermitte, dans le dernier voyage qu'il a fait à Madagascar, ayant arrêté et amené ici le nommé Olivier Le Vasseur, dit la Buse, fameux capitaine forban, son procès lui a été fait à la requête du procureur général et il a été pendu par arrêt du Conseil du 17 juillet dernier [1730];. Ce forban a fait en 1721, en rade de cette île, deux prises, l'une d'un vaisseau du Roi de Portugal de 60 pièces de canon, qu'il aborda, et l'autre d'un vaisseau appelé La Ville d'Ostende, appartenant à la Compagnie de cette ville. Il prit aussi et brûla à peu près dans le même temps le vaisseau de la Compagnie de France La Duchesse de Noailles, commandé par le sieur Gravé, de Saint Malo ; ce La Buse montait pour lors le vaisseau forban Le Victorieux et avait avec lui un autre navire nommé La Défense, commandé par un anglais appelé Taÿler [Taylor] (a)." Lettre de Dumas, gouverneur de Bourbon, au ministre de Maurepas, en date du 20 décembre 1730, Archives Coloniales, Correspondance générale de Bourbon, t. V, 1727-1731.)

 

(a) Version de M. Guët : « En 1721, le forban Olivier Le Vasseur, dit La Buse, surprit en rade de Saint-Denis avec son navire Le Victorieux un vaisseau portugais armé de 60 canons, venant de Goa et ayant à bord le vice-roi des Indes et l'Archevêque de Goa qu'il débarqua dans l'île ainsi que l'équipage, avant d'examiner sa prise. Ces diverses personnes furent ramenées à Lisbonne par Le Triton (Commandant Garnier de Fougeray). Ce même forban prit dans les mêmes eaux de Bourbon un navire hollandais, La Ville d'Ostende, et, en mai de la même année [1721], toujours en vue de l'île, il s'empara d'un vaisseau de la Compagnie française des Indes, La Duchesse de Noailles, qu'il pilla et brûla. Cette dernière prise, dont les habitants de Bourbon attendaient la cargaison avec impatience, mit le comble à leur fureur. Toutefois, l'amnistie, accordée par une délibération du Conseil supérieur de Bourbon en date du 26 janvier 1724, (1), le comprenait ainsi que John Cleyton, mais à la condition qu'ils ne commettraient plus aucun acte de piraterie. Le Vasseur, qui se méfiait, préféra ne pas en profiter et continua son fructueux métier. Mais La Méduse que commandait d'Hermitte et qui était envoyée pour assurer la navigation entre Bourbon et Madagascar, surprit La Buse dans les environs de Fort-Dauphin, où il avait établi sa retraite et l'amena enchaîné à Bourbon. Il eut beau se prévaloir de l'amnistie, on lui prouva par arrêt du 17 juillet 1730 que, du moment qu'il avait continué sa vie de pirate, il s'en était exclu, et on le pendit sur la plage de Saint-Denis à l'applaudissement de la populace (Guët, Les Origines (le l'île Bourbon et de la colonisation Française à Madagascar, 1886, p.218.

- D'autre part, Valgny; qui a si longtemps résidé à Madagascar, dit :«.Je remarque qu'un officier [D'Hermitte] a été récompensé pour avoir arrêté sous le voile de l'amitié et de la bonne foi le pirate La Buse, qui était retiré seul et sans défense dans l'île Marosy [ou :Mangabé, au fond de la baie d'Antongil], où il rendait service aux vaisseaux qui y allaient faire le commerce » (De Valgny, manuscrit de la Bibliothèque Grandidier [copie du ms. du Muséum d'histoire naturelle], 1747, p. 54).

- Voici le récit qu'a fait de ce même événement Bernardin de Saint-Pierre :- On sait que les premiers habitants de Bourbon furent des pirates qui s'allièrent avec des négresses de Madagascar. Ils vinrent s'y établir vers l'an 1657 (b). La Compagnie s Indes y avait aussi un comptoir et un gouverneur qui vivait avec eux dans une grande circonspection. Un jour le vice-roi de Goa vint mouiller à la rade de Saint-Denis et fut dîner au Gouvernement. A peine venait-il de mettre pied à terre qu'un vaisseau pirate de 50 pièces de canon vint mouiller auprès du sien et s'en empara. Le capitaine descendit ensuite et fut demander à dîner au gouverneur; il se mit à table entre lui et le Portugais, à qui il déclara qu'il était son prisonnier. Quand le vin et la bonne chère eurent mis le marin en bonne humeur, M. Desforges (c'était le gouverneur) lui demanda à combien il fixait la rançon du vice-roi. " Il me faut, dit le pirate, mille piastres " - " C'est trop peu, répondit M. Desforges, pour un brave homme comme vous et un grand seigneur comme lui. Demandez beaucoup ou rien ". - " Hé bien! qu'il soit libre! " dit le généreux corsaire. Le vice-roi se rembarqua sur-le-champ et appareilla, fort content d'en sortir à si bon marché (2). Le pirate s'établit ensuite dans l'île avec tous les siens et fut pendu longtemps après l'amnistie qu'on avait publiée en leur faveur. Cette injustice fut commise par un conseiller qui voulut s'approprier sa dépouille » (Bernardin de Saint-Pierre, Voyage à l'Ile de France, t. II, lettre XIX : Arrivée à Bourbon en 1770 p. 12-13).

 

(b) Le 4 novembre 1724, l'amnistie fut aussi accordée à plusieurs pirates qui s'embarquèrent sur le Royal Philippe pour retourner en France.

 

 

(1) d'après les Archives coloniales de Bourbon, les forbans qui s'étaient établis dans cette île étaient au nombre de 2 en 1687, de 9 en 1695 et de 3 en 1702 (sur :308 habitants), et de 11 en 1705, de 7 en 1706 et de 135 en 1720 (sur 734 habitants), soit un total de 167 en trente-trois ans, mais il est probable que les 135 forbans venus en 1720, et qui appartenaient au même navire, n'y sont pas tous restés.

(2) Magon de Saint Hélier, dans ses Tableaux, rapporte la même histoire, ajoutant que le roi de Portugal garda le souvenir de ce service de 'M. Desforges. qui en fut récompense dans la personne de son fils, lequel reçut la décoration de commandeur grand-croix de l'ordre du Christ. C'est celui qui fut nommé au gouvernement général des îles de France et de Bourbon eu 1759 (Les Origines de 1'île Maurice, chap. v).

 

 

Comme l'auteur [Robert] n'écrit pas l'histoire de ce qui lui est arrivé, il ne s'étendra pas sur les particularités de sa prise ni sur les suites qu'elle a eues.

Depuis cette fâcheuse aventure, étant survenues entre les forbans quelques discussions, après avoir tenté plusieurs fois inutilement de repasser par la pointe Nord de Madagascar pour retourner à l'île de Sainte-Marie, mais les courants et les vents contraires les en ayant toujours empêchés, chagrins de ne pouvoir exécuter leur dessein, la discorde se mit entre eux tout à fait. Ils firent exprès échouer le gros vaisseau à la côte dans un endroit nullement fréquenté, en retirèrent ce qu'ils purent et firent partage de leur butin. Ensuite, la plupart de ces malheureux passèrent sur le second vaisseau et se remirent en mer sous le commandement du capitaine Telert [Taylor] ; le capitaine Labuse ayant été déposé, ils firent route pour la côte de Safolla [Sofala]. Les autres, en plus petit nombre, presque tous Anglais et peu de Français , se trouvant assez riches, surtout en diamants, résolurent de quitter leur société et de ne plus courir les hasards qu'un aussi infâme métier traîne partout avec soi, et ils restèrent dans cet endroit sous la protection du roi de cette contrée pour y espérer [attendre] des amnisties de la Part de notre roi Sa Majesté très chrétienne sur la parole que l'auteur [Robert] leur avait donné d'en apporter par toute l'île, mais, par la suite, ces forbans accoutumés au libertinage, sans considération des bontés que les Insulaires avaient pour eux, eurent l'effronterie de vouloir prendre par force leurs femmes et de maltraiter celles qui ne voulaient pas consentir à leur infâme inclination; le roi de cette province, piqué d'un si mauvais procédé, sur les plaintes qui lui en furent faites par ses sujets, en fit égorger par punition le nombre de quarante, tous Anglais, sans avoir fait aucun mal aux Français parce que ces derniers étaient dans un autre canton séparé, où ils vivaient peut-être plus sagement que les Anglais (1)

 

(1). « Le capitaine du Compton, qui vient d'arriver de Bombay, rapporte que les forbans établis à Madagascar ont si cruellement maltraité les indigènes que ces derniers se sont soulevés et en ont fait un vrai carnage; il n'en est resté que douze, réfugiés dans le bois où ils périrent misérablement » (La Gazette de France du 4 mai 1726).

 

Tous les effets de ceux qui se sont trouvés compris dans cette punition sont restés entre les mains des Insulaires ; on est persuadé que, pour peu de chose, on les retirerait, cela n'étant point à leur usage, ne pouvant enfiler les diamants bruts comme ils font avec les grains de Passade, c'est de quoi l'auteur [Robert] est bien informé par des gens qui étaient sur les lieux du temps de ce massacre, aussi bien qu'à quelque chose près de la quantité de diamants qu'on peut y trouver, dans le nombre desquels il y en a d'un prix très considérable: premièrement, il y en a un que l'on dit peser 64 carats, beaucoup entre 30 et 40, entre 20 et 30, entre 10 et 20, et depuis 3 jusqu'à 10. On connaît le roi, qui à cet endroit est puissant, on sait la manière de traiter avec lui, ce qu'il lui faut porter, et l'on est assuré qu'il serait bien aise d'ouvrir un commerce et, les marchandises qu'il achèterait, il lui serait indifférent de les payer en or ou en esclaves.

Tout ce qui est écrit ci-devant est la vérité même ; ainsi, l'auteur [Robert] ose donc assurer que, par le moyen de deux petites frégates de chacune 150 tonneaux ou environ, montées de 16 ou 18 canons avec 30 hommes d'équipage, destinées pour être actuellement au service de la colonie, on y pourrait faire le commerce dans les endroits éloignés de Fort Dauphin, et que, pendant les beaux temps qui règnent dans ce climat depuis le 10 avril jusqu'à la fin de décembre, tout ce temps est en effet pacifique et sans crainte des ouragans, elles feraient aisément trois voyages chaque année le long des côtes de Madagascar; l'une de ces frégates irait à celle de l'Est et l'autre à celle de l'Ouest, d'où elles ne reviendraient sûrement point sans y avoir fait un commerce de plus de 20 pour 1 de bénéfice, tant sur l'or, l'argent, les diamants, la soie, la cire et quantité d'autres choses très utiles qui s'y rencontrent. On pourrait même les envoyer à Sofala et autres endroits de la côte de Mozambique, qui est aux Portugais et où le bétail est fort rare, fort cher et fort maigre; ce serait leur faire un très grand plaisir que de leur porter des salaisons de bœuf que l'on ferait au Fort-Dauphin et sur lesquelles il y aurait des profits considérables sur l'or que l'on rapporterait de tous ces endroits.

 

Note: L'auteur [Robert] sait un endroit sur la côte de Madagascar où l'on trouverait au bord de la mer 60 pièces de canons de fer, de différents calibres, savoir de 18 livres de balles, de 12 et de moindre; ou pourrait pendant les travaux [de la reconstruction de Fort-Dauphin que préconise Robert] y envoyer une frégate pour les prendre; ils ne coûteraient rien ou peu de chose, parce qu'ils viennent d'un gros vaisseau forban qui s'y échoua exprès en 1722 et qu'ils ne sont d'aucun usage aux insulaires de ce pays-la (Robert, Description en général et en détail de l île de Madagascar, 1730, Biblioth. du dépôt de la marine à Paris, ms. n° 3755, p. 104; Copie de la Bibl. Grandidier, p. 204;.

 

Mais il est bon de remarquer que, si l'on entreprenait le rétablissement de Fort Dauphin dans le dessein d'y former une puissante colonie, il serait de conséquence d'obtenir de Sa Majesté en faveur de cette colonie des lettres d'amitié pour les forbans, avec pouvoir au gouverneur et aux directeurs de les renouveler en cas d'occasion. Il est certain que tous ceux qui se sont retirés et établis en différents endroits de Madagascar seraient charmés de trouver cette occasion pour se délivrer des inquiétudes où ils vivent actuellement et pour avoir les secours qui leur sont nécessaires en menant une vie plus tranquille; car, avec leur opulence, ils manquent de la plus grande partie de leurs besoins et sont toujours dans la crainte d'être surpris par quelque ennemi caché. Ainsi, ils accepteraient les grâces de Sa Majesté ; une partie de ces réfugiés a même assuré à l'auteur de cette description [Robert] qu'en reconnaissance d'un si grand bienfait ils feraient des présents et des dons considérables. Par cette seule voie, ils viendraient sûrement tous se faire habitants dans la colonie sous la protection de la Compagnie et l'autorité de son pavillon, ce qui la renforcerait et lui procurerait de grands avantages par les richesses qu'ils y apporteraient ; ils y amèneraient leurs femmes et leurs enfants; ceux qui ne seraient pas mariés, s'y marieraient avec des négresses du pays [Malgaches], et la colonie se peuplerait en peu de temps; chacun en son particulier s'attacherait a cultiver dans son terrain du café, du tabac, du coton, du riz, des pois et quantité d'autres légumes; ils y élèveraient aussi des bestiaux de toutes espèces. Ils seraient obligés d'envoyer ou d'apporter dans les magasins de la Compagnie toutes les provisions et denrées qu'ils ne pourraient consommer, pour avoir en troc, suivant les prix qui seraient réglés de chaque chose, les marchandises propres à leur usage, comme toiles, chemises, étoffes pour habits, bas, souliers, chapeaux, eau-de-vie, vin, fusils, poudre, balles, pierres, et plusieurs autres effets qui leur seraient nécessaires, et, lorsqu'ils n'auraient aucune fourniture à faire, ils ne pourraient se dispenser de payer ces marchandises en or, argent, diamants ou autres objets convenables, attendu qu'il leur serait très expressément défendu, sous peine de confiscation de ce qui leur appartiendrait et d'une amende avec punition en cas de récidive, de faire aucun commerce directement ou indirectement avec les vaisseaux de la Compagnie, ni avec aucun autre qui pourrait relâcher à la côte, ne pouvant même pas aller à bord d'aucun sous quelque prétexte que ce soit, sans la permission expresse de deux directeurs pour cas imprévus ou de nécessité, sur lesquels directeurs l'autorité générale et le soutien du commerce doit rouler, comme aussi de tenir la main qu'aucune personne quelconque des vaisseaux, qui que ce puisse être, ne descende ni ne fasse descendre des marchandises ni, pacotilles à terre pour les y vendre frauduleusement parmi les nègres [Malgaches] et les habitants ; pour cet effet, à l'endroit de la descente des canots et des chaloupes, il serait établi jour et nuit un corps de garde pour en faire la visite, avec perte des effets et telle punition qu'il plairait à la Compagnie d'ordonner pour ceux qui seraient pris en contravention, afin d'éviter par cette régularité et cette conduite le commerce secret et clandestin qui pourrait s'y faire sans ces précautions et qui non seulement diminuerait dans le pays la valeur des effets, mais de toutes manières causerait de grands préjudices aux intérêts de la Compagnie.

Suivant ce règlement, à mesure que la colonie se peuplerait, elle deviendrait de plus en plus absolue et des plus florissantes par l'abondance de toutes choses, et peu à peu elle retirerait toutes les richesses superflues de ses nouveaux habitants [les pirates]; les enfants qui en proviendraient, étant élevés dans ce gouvernement, ne connaîtraient point d'autres félicités que les revenus de leurs labeurs..... Le Fort Dauphin ne serait pas plutôt sur pied [reconstruit et fortifié] que la clémence de Sa Majesté et les privilèges accordés à la colonie seraient bientôt répandus [connus] parmi les forbans qui sont encore en mer; tous ceux qui auraient fait leur fortune viendraient indubitablement y chercher leur pardon, et on pourrait y en recevoir une certaine quantité. Mais, la colonie en étant considérablement peuplée, si l'on jugeait à propos, les grâces de Sa Majesté discontinueraient, dans la vue de détruire leur brigandage et d'assurer la navigation à toutes les nations et dans la crainte d'autoriser le mal et de leur donner l'occasion d'en faire.

 

Note: En 1730, un autre projet du même genre a été proposé au roi, qui consistait à accorder aux forbans qui habitent l'île de Sainte-Marie de .Madagascar une amnistie générale, à charge pour eux de servir l'État

 

 

(Robert, Description en général et en détail de l'île de Madagascar, 1730, manuscrit n° 3755 de la Bibliothèque du Dépôt de la marine de France, p. 109-117, et copie de la Bibliothèque Grandidier, p. 214-229).

 

 

 



20/11/2020
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