Textes anciens sur La Buse

Textes anciens sur La Buse

Annexe 4 La relation de De Bucquoy (transcription de Walckenaert)

La relation de DE BUCQUOY, dans la transcription de WALCKENAERT

( in Histoire générale des voyages, Tome 21, Chapitre XXXIII, pp. 401 à 432 )

 

Voyage de Jacob de Bucquoy à la baie de Lagoa, en 1721

 

Nous avons suivi tous les nombreux voyageurs qui ont exploré la colonie du Cap, ou qui, après avoir franchi les limites de son territoire, ont agrandi le cercle des découvertes géographiques par leurs explorations au nord et à l'est de cette région.. Pour compléter l'ensemble des notions acquises jusqu'à ce jour sur l'Afrique méridionale au sud du cap Negro, à l'ouest, et du cap Corrientes, à l'est, nous n'avons plus qu'à faire connaître le petit nombre de voyageurs qui ont abordé sur la côte orientale de cette portion du globe, soit en revenant des Indes , soit en s'y rendant, mais sans traverser la colonie du cap de Bonne-Espérance. Le seul mouillage favorable sur cette côte est la belle baie de Lorenzo Marquez ou de Lagoa. Déjà nous avons vu que deux colons du Cap y étaient parvenus par terre ; mais leur voyage n'a point été publié. Dans le peu qui nous en a été donné, la route qu'ils ont parcourue nous fournit bien, pour, la géographie, un itinéraire neuf et précieux, mais ne nous donne aucun détail sur la baie même ; nous en trouverons de curieux et d'abondants dans les voyageurs maritimes qui y ont abordé : quelques uns ayant touché aussi à Mozambique et sur la côte orientale, et ailleurs, nous feront anticiper un peu sur l'objet du Livre suivant; mais il est plus essentiel de conserver leurs relations dans leur intégrité, que de s'astreindre trop rigoureusement aux divisions géographiques. Le premier des voyageurs qui ont fait connaître la baie de Lagoa est Jacob de Bucquoy, qui publia, en 1721 , un voyage aux Indes.

( Note: Il semble que cette date soit une coquille, car ce sont les faits qui se sont passés en 1721. La publication du récit du voyage n'a été faite qu'en 1744 )

L'auteur de cette relation était Hollandais; né à Amsterdam, le 26 Octobre 1693. Après avoir voyagé dans la plus grande partie de l'Europe, il entra, en 1719, au service de la compagnie des Indes Orientales, comme ingénieur. Parti en novembre, il arriva, le 4 mars 1720, au cap de Bonne Espérance. Ayant ensuite été chargé de veiller à la construction de forts que l'on voulait élever dans la baie de Lagoa, de Bucquoy s'embarqua le 12 février 1721; l'expédition était composée de deux hourques , et commandée par Guillaume Van Taak. Le 1er avril, on eut connaissance du cap Corrientes, qui est peu élevé, et on longea la côte d'Inhambana, qui est sablonneuse et couverte de dunes jusque dans le voisinage de la pointe de la baie de Rio de Lagoa, où l'on entra le 3 du même mois.

Cette baie, située sous le 26° de latitude sud, s'étend vers l'ouest - nord ouest; elle est à peu près à deux mille milles du cap de bonne espérance. elle se trouve dans le royaume de Biri, et confine au Nord avec celui d'Inhambana. Le Rio Marquez, qui a son embouchure au dessous de celle du Rio de Spiritu-Santo, sépare Spiritu-Santo, sépare le royaume de Biri du pays des Tempouris. Sa longueur, comptée depuis File Sainte Marie, qui est à son entrée, jusqu'à la Pointe-Rouge, est de six milles ; sa largeur est de quatre. Les grands navires ne peuvent mouiller commodément devant cette baie, à cause des bancs nombreux et des bas-fonds que l'on y rencontre. Le terrain qui entoure la baie est marécageux et couvert de broussailles le long du rivage; dans l'intérieur du pays, il est aride et stérile, la verdure y est brûlée ; il n'y a d'eau douce que dans le Rio de Spiritu-Santo. Celle que les indigènes boivent est ordinairement saumâtre et salpétrée ; quelquefois même ils en boivent de salée. Plus loin dans l'intérieur, on voit des cantons bien boisés. Les montagnes sont à une trentaine de milles de l'entrée de la baie

On avait eu l'intention de mouiller dans le Rio de Spiritu-Santo ; mais le pilote du bord, qui prétendait bien connaître ces parages, fit passer au-delà; et l'événement prouva qu'il n'était jamais venu dans la baie, car il conduisit le navire dans une rivière salée. On avait à peine jeté l'ancre, qu'une multitude de canots chargés d'indigènes vinrent à bord ; ces gens apportaient des fruits: ils offrirent deux chèvres au commandant. On leur donna en échange quelques cordons de verroterie, de petits miroirs et d'autres bagatelles, qu'ils reçurent avec beaucoup de joie et examinèrent très soigneusement.

 

................Description des indigènes..................

................Description de l'installation et de la construction du fort..............

................Description du pays environnant et de ses ressources..............

 

 

Le fort Rio de Lagoa étant terminé, et la carte que j'avais levée de la baie achevée, le conseil expédia au Cap une des hourques pour y porter les marchandises qu'on s'était procurées, et qui consistaient en riz, ivoire, cire et ambre gris : il y joignit un rapport sur notre triste état. Dans la même saison, le gouvernement du Cap envoya à la baie un yacht, avec quatre-vingts hommes, des vivres, et divers objets dont le comptoir avait besoin. Ce navire ayant chargé les marchandises qu'on s'était procurées de nouveau, retourna au Cap avec une galiote, et il ne resta près de l'établissement qu'une hourque.

Les Hollandais étaient bien approvisionnés et en état de repousser les indigènes ; ils ne craignaient pas d'autre malheur; et, à l'exception des malades et des morts parmi les nouveaux arrivés, ils vivaient assez tranquillement; mais les choses allaient bientôt changer. "Le 11 avril 1722, dit de Bucquoy, les naturels vinrent nous annoncer que trois navires étaient mouillés dans la baie, et qu'ils n'en connaissaient pas le pavillon. Aussitôt l'ordre fut donné de placer un poste suffisant à l'entrée de la rivière, afin de savoir ce que ces bâtiments pouvaient être. Tous les jours les Cafres venaient à notre fort avec des morceaux de toile de l'Inde autour du corps; ils disaient qu'ils l'avaient reçue en faisant des échanges avec ces navires; ils se servaient de ce qu'ils avaient en surplus en guise de pavillons et de banderoles à leurs pirogues et à leurs maisons.

"Tout resta en cet état jusqu'au 19 avril; ce jour là les bâtiments inconnus, qui s'étaient, approchés jusqu'à l'embouchure de la rivière, arborèrent le pavillon et la flamme britanniques; nous ne savions que penser de cela; voir des vaisseaux de guerre anglais dans des parages peu fréquentés, à une époque où il n'y avait pas d'hostilités déclarées, nous paraissait étrange, et nous ne songions pas aux pirates ; mais l'évènement nous montra bientôt à quelles gens nous avions affaire. Nous mîmes notre artillerie en état, et nous préparâmes à nous défendre ; car les inconnus annonçaient des intentions hostiles. Nous primes donc quelques Cafres avec nous, et nous plaçâmes la hourque en avant pour nous servir de défense par eau. Cependant les bâtiments se rapprochèrent encore ; il y en avait deux grands, dont un de soixante-douze et un autre de quarante quatre canons, et un brigantin. Ils étaient montés par des équipages nombreux ; les trompettes retentissaient de dessus les gaillards d'arrière. Le plus grand laissa tomber l'ancre, et tira un coup à boulet sur la hourque et sur le fort ; puis il lâcha toutes sa bordée, et l'autre fit de même. Nous ne demeurâmes pas en reste, et nous leur répondîmes de la même manière. Mais, à la première décharge, les plus grosses pièces s'enfoncèrent dans le sable, parce que nous n'avions pas encore pu établir des batteries solides : on s'est donc borné à placer les pièces en barbettes sur le sable. Nous réparâmes cet inconvénient le mieux que nous pûmes : mais que fut notre étonnement quant nous aperçûmes que la hourque avait amené son pavillon, et que l'ennemi s'en était emparé !

"Il continuait à tirer ses pièces de douze chargées à boulet à mitraille ; les Cafres sautèrent par dessus les palissades, et s'enfuirent vers la forêt. Nous reconnûmes que soixante-dix-huit hommes qui étaient encore en vie dans le fort, et parmi lesquels il y avait beaucoup de malades, ne pouvaient tenir contre la multitude d'ennemis". Cependant de Bucquoy voulait s'occuper de remettre les pièces en état, lorsqu'on vient lui annoncer qu'un individu avait fait abattre le pavillon ; et qu'au même instant quatre bateaux remplis de monde s'approchèrent des murs, et les ennemis descendirent à terre ; quatre d'entre eux, le pistolet dans une main et le sabre dans l'autre, entrèrent dans le fort, et virent avec étonnement qu'une poignée de gens eussent l'audace de leur résister. L'un deux demanda d'une voix arrogante où était le commandant ; celui-ci, s'étant fait connaître, désira savoir qui ils étaient : ils répondirent qu'ils étaient les rois de la mer et du monde ; puis ils commandèrent aux Hollandais de mettre bas les armes, et au commandant d'aller à bord du grand vaisseau. Celui-ci eut beau protester, il fut obligé d'obéir à la force ; de Bucquoy l'accompagna. Les ennemis s'emparèrent du fort ; à chaque instant ils recevaient des renforts, ils placèrent partout des postes.

De Bucquoy raconte qu'arrivé au navire, on lui enjoignit de suivre le capitaine, qui entra dans la chambre ; il y trouva toute la bande réunie autour d'une grande jatte de punch, et accompagnée d'une troupe de musiciens à la manière anglaise ; puis il ajoure : "on nous fit asseoir, la jatte de punch ............

(p 414 et 415 manquent)

............ avec ces forbans, il y fut forcé par la nécessité. Avant de partir, les pirates voulurent démolir les maisons du comptoir, afin de tirer parti de la charpente et des planches; mais les indigènes, connaissant leur dessein arrivèrent en grand nombre avec leurs sagaies devant les palissades , et les menacèrent de fondre sur eux s'ils arrachaient une planche de plus ; les pirates voyant leur grand nombre, et ayant plus d'une fois éprouvé leur bravoure, furent obligés de se désister de leur entreprise ; ils retournèrent donc à leurs vaisseaux, où ils restèrent armés jusqu'à l'instant où ils levèrent l'ancre, laissant le fort ruiné, et la garnison dépouillée de tous ce qu'elle possédait, et dépourvue de vivres.

En sortant de la rivière le gros bâtiment toucha ; ce ne fut qu'avec peine qu'on le remit à flot : on resta huit jours dans la baie :pendant ce temps, de Bucquoy fut menacé, au moins une douzaine de fois, d'être fusillé. Enfin, le 16 juillet, après avoir essuyé la veille un violent coup de vent, on fit voile à la grande joie de notre voyageur : elle ne dura pas longtemps. Les pirates suivant leur usage, arborèrent le pavillon noir ; de Bucquoy, accompagné du capitaine de la hourque, se rendit à leur assemblée et réclama l'exécution de leur promesse pour qu'il pût retourner à terre avec ses compagnons. Mais le capitaine du gros navire lui répondit que les circonstances les forçaient de ne pas la tenir, parce que, dans la dernière tempête, le navire avait éprouvé de grands dommages, et leur brigantin ayant coulé à fond, la hourque leur devenait indispensable pour leur salut, et que, dès qu'ils auraient pris un bâtiment, ils le lui donneraient. De Bucquoy et ses compagnons furent contraints de se résigner, et d'attendre ce que la Providence déciderait d'eux.

Les pirates, suivant leur usage, qui est de ne rien décider sur leur croisière future avant d'avoir mis en mer, afin que l'on ne connaisse pas leurs projets, résolurent de se porter sur Mosambique, et ensuite sur Goa. Le grand navire avait un équipage de cinq cents hommes, tant blancs que nègres; le second navire en comptait deux cent cinquante, et la hourque trente ; elle portait trente canons. La flottille aperçut la côte de Zanguebar le 6 d'août, et le lendemain on se trouva devant Mozambique. "Nous croisâmes devant cette place jusqu'au 12 de ce mois ; alors les pirates hissèrent le pavillon français, et tirèrent un coup de canon pour demander un pilote. Le fort arbora aussitôt son pavillon ; la barque du pilote sortit, et vint se placer sous la hourque, en se tenant toutefois hors de la portée du canon ; le pilote fit signe avec son chapeau pour indiquer la route à tenir, puis vira de bord et rentra. Les corsaires louvoyèrent pendant le reste de la journée devant la place, et continuèrent leur croisière durant quelques jours ; n'apercevant pas de navires, ils supposèrent que ceux-ci, les reconnaissant, s'étaient échappés.

Cependant les vivres diminuaient, on perdait inutilement le temps à croiser ; on délibéra sur le parti qu'il convenait de prendre. Les uns, et le capitaine était de cet avis, voulaient que l'on entrât dans le port de Mosambique, et que l'on s'emparât de la ville ; les autres, qui avaient déjà beaucoup d'argent, et qui ne se souciaient pas de se hasarder trop témérairement, représentaient cette entreprise comme impossible, quant même on aurait six fois plus de monde ; mais le capitaine s'écria comme un furieux : "Impossible ! Ah ! s'il s'agissait de prendre le ciel d'assaut, je tirerais le premier coup." Puis il raconta toutes ses prouesses ; et, après avoir adressé un discours à ses compagnons, il leur demanda où ils voulaient aller ; ils répondirent à Madagascar : on fit donc voile vers cette île, et, le 4 septembre, les trois navires laissèrent tomber l'ancre dans la rivière Maseliet, qui est par 15 ° de latitude sud.

Un coup de canon avertit les insulaires de la présence des vaisseaux. Trois jours après le roi arriva, suivi de deux mille hommes armés, et ordonna que le capitaine et tout le monde parussent devant lui ; les Hollandais, au nombre de vingt-deux, furent amenés comme prisonniers ; chacun mit un genou à terre devant lui, et lui baisa le bout des deux premiers doigts de la main, en y ajoutant la formule du salut."Alors, dit de Bucquoy, le roi demanda aux pirates qui nous étions, et pourquoi ils nous avaient pris. Ils lui racontèrent les faits sans aucun déguisement. Le roi, s'adressant à nous, voulut savoir ce que nous souhaitions ; nous lui dîmes que nous désirions rester sur son territoire, afin de pouvoir y construire un navire, et retourner parmi nos compatriotes, ajoutant que, durant notre séjour chez lui, nous espérions recevoir de sa bonté paternelle des vivres, des vases pour les faire cuire, du sel, et ce qui nous serait nécessaire ; ils nous le promit, pourvu que nous vécussions tranquillement : sur quoi nous lui baisâmes de nouveau la main, et lui adressâmes nos remerciements."

Le lendemain, de Bucquoy, accompagné du capitaine et du pilote de la hourque, alla prier le capitaine des pirates de leur rendre ce bâtiment; mais cette requête, portée à l'assemblée, fut rejetée. Les pirates se séparèrent ; une partie resta dans l'île auprès du roi, les autres se rembarquèrent; la hourque et le second navire, dont le principal capitaine prit le commandement, partirent pour les Antilles ; le grand vaisseau, sous les ordres d'un nouveau chef, devait croiser dans la mer des Indes. Ce fut le 4 novembre qu'ils mirent à la voile, laissant les Hollandais dans une position vraiment fâcheuse, dépouillés entièrement, éloignés de leur patrie, et privés de tout secours humain. Ce que ceux ci avaient réussi à cacher, consistait en une barrique de vieux cordages et d'outils de charpentier, un pot de graisse puante, et quatre à cinq sacs de riz gâté, que les pirates avaient voulu jeter dans la mer, parce qu'il n'était plus mangeable.

La première occupation de ces malheureux fut d'élever des cabanes pour se mettre à l'abri des intempéries de l'air : elles étaient en branches d'arbres, et couvertes en feuilles d'aloès. Cette besogne achevée, ils songèrent à construire un navire, afin de pouvoir sortir de l'île ; car ils ne pouvaient espérer avec certitude de voir revenir les pirates pour les emmener, et, à l'exception d'un navire maure de Daman, de Diu, ou du Guzurate, qui venait sur cette côte une fois par an, ou tous les deux ans, elle n'était guère visitée que par des bâtiments que la nécessité y amenait. On se partagea le travail ; les hommes les plus robustes allèrent dans les bois pour y abattre des arbres et scier des planches : le capitaine et de Bucquoy restèrent sur le rivage pour aider aux charpentiers. Pendant la nuit ,on se divisait en plusieurs gardes. Il fallait que les sentinelles fussent attentives pour éloigner les bêtes féroces et les voleurs ; le peu que les Hollandais possédaient suffisant pour tenter les vagabonds qui infestaient le rivage, et qui les inquiétaient sans cesse.

Au bout de deux mois, le navire était à peu près à moitié fini : on espérait pouvoir s'embarquer dans deux à trois mois. Un ordre parfait avait régné dans cette petite communauté ; aucune maladie ne l'avait désolée. Par malheur, le capitaine, par sa conduite inconsidérée, perdit l'autorité qu'il avait conservée jusqu'alors ; des murmures éclatèrent contre lui. La mauvaise nourriture à laquelle les Hollandais étaient réduits altéra leur santé. Le roi tint d'abord les promesses qu'il leur avait faites ; ensuite il les négligea entièrement. En peu de jours, il tombèrent tous malades, et se trouvèrent hors d'état de se secourir les uns les autres : plusieurs moururent si brusquement qu'ils furent trouvés dans leurs cabanes sans vie, et répandant déjà une mauvaise odeur. En trois mois, cette petite troupe perdit les deux tiers de ses membres ; de ce nombre furent le capitaine de la hourque, le pilote, et le maître charpentier. Il ne restait plus en vie que huit personnes très affaiblies par les maux qu'elles avaient endurés. La mort du charpentier fut pour ces pauvres gens le coup le plus sensible qui pût les frapper, puisqu'elle les privait de toute espérance de s'échapper. Égarés par le désespoir, plusieurs se livrèrent à toutes sortes de désordres. D'ailleurs, les bandits de la côte les tourmentaient plus audacieusement, sachant bien qu'ils n'étaient pas en état de porter leurs plaintes au roi : ils leur dérobèrent la plus grande partie de leurs outils.

"Nous avions passé huit mois dans l'île, dit de Bucquoy ; nous ne pouvions apercevoir aucun moyen de sortir de notre triste position. Les uns voulaient aller trouver le roi ; les autres, rester sur la côte à attendre l'arrivée d'un navire. La plupart penchaient pour prendre le premier parti, et pour s'établir dans l'île ; dans ces cas là, le roi donne des terres, des esclaves pour les cultiver, et une femme. En revanche, on est tenu de l'accompagner, à sa réquisition, dans ses guerres contre ses ennemis, et d'instruire son peuple.

Nous restâmes quelques jours encore sur la côte ; nous étions tristes et abattus, nous ne savions que résoudre. Une nuit, nous entendîmes tout à coup les habitants du rivage pousser de grands cris; on s'approchait de nous. Quelle fut notre surprise en apercevant les Anglais partis avec le grand navire! Ils nous apprirent qu'il avait échoué sur le cap le plus septentrional de Madagascar, et y avait été mis en pièces. Cent vingt-cinq hommes, s'étant sauvés à terre, avaient décidé de construire un petit bâtiment avec les débris.

Pendant qu'ils étaient occupés à cette besogne, leurs esclaves, d'accord avec les Madecasses, avaient comploté de les surprendre pendant leur sommeil de midi , et de les égorger. Ce projet avait reçu son exécution ; les pirates avaient été massacrés , à l'exception de vingt-un qui avaient pu se sauver sur le navire ; et de ceux qui, après un long voyage et de grandes privations, étaient arrivés moitié morts de faim à l'endroit où nous étions; plusieurs avaient conservé des diamants, qu'ils portaient constamment sur eux ; d'autres n'avaient rien du tout. Notre étonnement fut réciproque, en nous revoyant les uns les autres dans un état si déplorable.

" Notre première opération avec les pirates fut de faire des trocs ; ils avaient besoin de vêtements; nous en étions bien pourvus. Chacun joua le rôle d'un gros commerçant. Nous reçûmes des diamants en échange de vieilles hardes ; on ne faisait aucun cas de ceux d'un ou trois carats; on ne prenait que les gros. Les habits et les hauts-de-chausses étaient les marchandises les plus recherchées. "

Deux ou trois jours après, on vit paraître un navire monté par des Français et des Portugais. Ils appartenaient à la troupe des pirates, et avaient construit leur bâtiment avec les débris de celui qui était resté échoué. Les Portugais, chassés par leurs compagnons, gagnèrent la côte à la nage. Les Français ayant ensuite abandonné leur vaisseau, se joignirent aux Anglais qui voulaient aller chercher fortune à la cour. Les Hollandais et les Portugais s'occupèrent de radouber le navire. Au bout de sept à huit semaines il fut prêt à prendre la mer. Les pirates, instruits du dessein des Hollandais, et connaissant leur faiblesse, les attaquèrent, les dépouillèrent de leurs diamants et de tout ce qu'ils possédaient encore, puis, le pistolet à la main, les forcèrent, ainsi que les Portugais, à s'embarquer, et à pousser au large. Ils en usèrent ainsi pour empêcher ces malheureux d'aller se plaindre au roi. Ceux ci, étant sortis de la rivière, se dirigèrent au sud, afin de pouvoir entrer dans un port pour y faire de l'eau, du bois et des vivres , et calfater leur bâtiment où l'eau entrait ; car il fallait prendre quelques précautions avant d'entreprendre une navigation de cent soixante milles dans un si frêle vaisseau, qui n'avait que la grandeur d'une chaloupe ordinaire, qui était d'ailleurs très incomplètement équipé , et très mal approvisionné.

Après vingt jours d'une navigation pénible, les voyageurs, qui étaient au nombre de vingt-un , savoir, treize Portugais, un nègre et huit Hollandais, abordèrent à Mosambique. De Bucquoy leur avait servi de pilote. Le gouverneur et tous les habitants leur témoignèrent leur surprise de les voir arriver sains et saufs, en si grand nombre, dans un bâtiment si chétif. Les Portugais, que de Bucquoy ramenait ainsi chez eux, racontèrent leurs aventures. Étant à l'ancre, deux ans avant, le long de l'île Mascareigne, ils avaient été pris par des pirates.

" Ils les avaient suivis, dit de Bucquoy, et en conséquence avaient été témoins de tout ce qui nous était arrivé. Sans eux notre sort eut été déplorable ; n'ayant avec nous aucun document écrit qui constatât ce que nous étions, on nous aurait regardés comme des pirates, et nous aurions langui dans un cachot, en attendant qu'on se fut procuré des renseignements sur notre compte. Ces gens nous furent donc très utiles."....

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20/11/2020
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